11
Même si je l’avais voulu, je n’aurais pas pu aller voir ce qui s’était passé sur la terrasse. Bill et Éric semblaient écœurés et, quand des vampires ont l’air écœurés, vous n’avez vraiment pas envie d’aller y regarder de plus près.
— Il va falloir incendier la maison, a annoncé Éric. Callisto aurait pu faire le ménage elle-même avant de partir.
— Ce n’est pas dans ses habitudes, d’après ce que j’ai entendu dire, lui a répondu Bill. Callisto est la folie incarnée, et la folie se moque bien d’être découverte.
— Hum... possible, a maugréé Éric.
Il semblait occupé à soulever quelque chose. J’ai entendu le bruit mat d’une masse flasque tombant sur le bois.
— Pour une drôle de soirée, c’est une drôle de soirée... a repris Bill.
— C’est elle qui m’a appelé pour me demander de l’accompagner, s’est aussitôt défendu Éric, qui avait parfaitement décrypté le message codé.
— Bon, OK. Mais tu n’as pas oublié notre accord, n’est-ce pas ?
— Comment aurais-je pu l’oublier ?
— Prends garde à ce que tu dis. Sookie nous écoute, tu sais.
— Pas de problème, en ce qui me concerne, a affirmé Eric.
Et il a éclaté de rire.
Les yeux perdus dans l’obscurité de la nuit, je me suis vaguement demandé de quoi ils pouvaient bien être en train de parler. Puis je me suis ressaisie. Oh ! Pour qui se prenaient-ils, là ? Pour de puissants alliés se partageant les terres du vaincu au terme du conflit ? J’avais l’impression d’être un quartier de gibier que la meute se dispute à la curée. En parlant de meute, Sam était toujours assis par terre, à côté de moi. Il avait recouvré forme humaine et... il était aussi nu qu’Adam à l’aube de la Création. Mais en cet instant, je m’en fichais comme de l’an quarante. De toute façon, Sam ne risquait pas d’avoir froid : c’était un changeling.
— Oups ! Il y en a un de vivant, nous a crié Eric.
— Nikkie ! s’est exclamé Sam.
Nikkie a descendu les marches de la véranda d’une démarche chancelante et nous a rejoints. Elle s’est jetée dans mes bras et a éclaté en sanglots. Accablée de lassitude, je l’ai instinctivement enlacée et je l’ai laissée pleurer tout son soûl. On devait ressembler à deux gros nénuphars blancs, toutes les deux, moi avec mon short riquiqui et elle dans sa lingerie incendiaire. J’ai serré Nikkie contre moi pour la réchauffer.
— Il n’y aurait pas une couverture qui traînerait dans ce cabanon, par hasard ? ai-je lancé à Sam.
Il est parti en courant vers la maison. J’ai noté le spectacle intéressant qu’il offrait ainsi, vu de dos. Après quelques instants, il est revenu, toujours en courant. Le panorama était carrément imprenable, vu de face. Il nous a enveloppées toutes les deux dans un vieux plaid élimé.
— La vie vaut vraiment la peine d’être vécue, ai je marmonné en secouant la tête.
— Pourquoi dis-tu ça ? s’est étonné Sam.
Comme je pouvais difficilement lui avouer que c’était à cause de son anatomie, j’ai préféré changer de sujet.
— Comment ça va, Ben et Andy ?
— On dirait un numéro de cirque, a fait Nikkie en pouffant.
Ses gloussements ne me disaient rien qui vaille.
— Ils sont toujours là où Callisto les a laissés, m’a répondu Sam. Debout et raides comme des piquets.
— I’m still standing, a chantonné Nikkie, reprenant la chanson d’Elton John. I’m still standing, yeah, yeah, yeah...
Éric a éclaté de rire. Bill et lui étaient sur le point de mettre le feu à la maison. Ils sont venus nous rejoindre pour une vérification de dernière minute.
— Dans quelle voiture êtes-vous arrivée, Nikkie ? a demandé Bill.
— Oh ! Un vampire ! s’est extasiée Nikkie. T’es le chéri de Sookie, hein ? Qu’est-ce que tu fichais, l’autre soir, au match, avec un boudin comme Portia Bellefleur ?
— Et gentille, avec ça, a lâché Éric en dévisageant Nikkie, un petit sourire indulgent aux lèvres, comme un éleveur de chiens de race auquel on présente un ravissant corniaud d’origine incertaine.
— Dans quelle voiture êtes-vous venue ? a répété Bill. S’il vous reste une once de bon sens, c’est le moment de le prouver.
— Je suis venue dans une Chevrolet Camaro blanche, a finalement répondu Nikkie d’un ton plus sérieux. Je vais la prendre pour rentrer. Quoique... peut-être pas. Sam ?
— Bien sûr, Nikkie, je vais te reconduire chez toi, a dit l’intéressé. Bill, as-tu besoin d’un coup de main, ici ?
— Je pense qu’on pourra y arriver tous les deux, avec Éric, a répondu Bill. Pourrais-tu nous débarrasser de ce sac d’os ?
— Ben ? Je vais voir ça.
Nikkie m’a embrassée sur la joue et s’est dirigée, en suivant une trajectoire plus ou moins directe, vers sa voiture de sport grand luxe.
— Heureusement que j’avais laissé les clés sur le contact ! m’a-t-elle lancé en riant.
— Et ton sac ?
La police s’interrogerait sans doute si elle trouvait le sac de Nikkie dans les cendres de la maison, au beau milieu d’un amas de corps calcinés.
— Oh ! Il est resté à l’intérieur.
Un simple coup d’œil de ma part a suffi. Bill est revenu avec un sac à bandoulière assez gros pour contenir une tenue de rechange.
— C’est le vôtre ? a-t-il demandé à Nikkie.
— Oui, merci.
Elle lui a pris le sac du bout des doigts, comme si elle avait peur d’attraper la gale en le touchant. Elle ne s’était pas montrée si regardante, un peu plus tôt dans la soirée...
Éric avait chargé Ben sur son épaule et se dirigeait avec son fardeau brinquebalant vers la voiture blanche.
— Il ne se souviendra de rien, a-t-il annoncé à Nikkie, comme Sam ouvrait la portière de la Chevrolet pour coucher Ben à l’arrière.
— J’aimerais bien pouvoir en dire autant, a soupiré Nikkie.
Son visage a brusquement semblé s’affaisser sous le poids de toutes les horreurs auxquelles elle avait assisté pendant la nuit.
— Je voudrais n’avoir jamais vu cette... chose, quelle qu’elle soit. Je voudrais n’être jamais venue ici, déjà, pour commencer. Ça me dégoûtait de faire ça. Je croyais que Ben en valait la peine.
Elle a jeté un regard morne à la forme inerte allongée sur la banquette arrière.
— Mais non. Personne ne vaut la peine de faire des trucs pareils.
— Je peux effacer votre mémoire aussi, lui a proposé Éric, avec la même désinvolture que s’il lui offrait un Coca.
— Non. Il faut que je me souvienne. Certaines des choses que j’ai apprises, ce soir, méritent d’être retenues, même si ça doit peser des tonnes sur la conscience.
À l’entendre, elle paraissait avoir pris vingt ans d’un coup. Il arrive, parfois, qu’on vieillisse prématurément en un instant. J’ai vécu ça quand j’avais dix ans, à la mort de mes parents. Nikkie venait d’en faire la cruelle expérience.
— Mais... ils sont tous morts. Tous sauf Ben, Andy et moi, a-t-elle repris. Vous n’avez pas peur qu’on parle ?
Éric et Bill se sont consultés du regard. Éric s’est insensiblement rapproché de Nikkie.
— Écoutez, Nikkie... lui a-t-il lancé du ton du brave type qui veut vous ramener à la raison.
Elle a eu le malheur de lever les yeux vers lui. À peine son regard avait-il croisé celui d’Éric qu’il commençait déjà à effacer de sa mémoire tous les événements de la nuit. J’étais trop fatiguée pour protester. De toute façon, je n’aurais rien pu y changer. J’espérais seulement que, désormais ignorante du prix qu’elles lui avaient coûté, Nikkie ne répéterait pas les mêmes erreurs. Mais on ne pouvait pas prendre le risque qu’elle aille cafarder, j’étais bien obligée de l’admettre.
Conduits par Sam (qui avait emprunté à Ben son pantalon), Nikkie et Ben prirent le chemin du centre-ville tandis que Bill arrosait un pan de mur d’essence pour faire disparaître le cabanon. Quant à Éric, il semblait occupé à compter les os sur la terrasse pour s’assurer que les corps étaient bien au complet. Le contraire n’aurait pas manqué d’éveiller les soupçons des enquêteurs. Son inventaire terminé, il a traversé la clairière pour aller voir ce que devenait Andy.
J’en ai profité pour revenir à la charge.
— Pourquoi Bill déteste-t-il tant les Bellefleur, au fait ?
Cette fois, il a consenti à me répondre.
— Oh ! C’est de l’histoire ancienne. Cela remonte à l’époque où Bill était encore humain.
L’état d’Andy a paru le satisfaire, et il est retourné aider Bill.
C’est à ce moment-là que j’ai entendu une voiture arriver. Bill et Éric sont immédiatement revenus dans la clairière. Un craquement de bois sec, provenant de l’autre côté de la maison, nous a annoncé que le feu avait pris.
— Nous ne pouvons pas créer plusieurs foyers d’incendie en même temps, ils seraient capables d’en déduire que ce n’est pas un accident, a dit Bill à Éric. Ces progrès de la police scientifique m’exaspèrent.
— Si nous n’avions pas décidé de sortir de la clandestinité, ils seraient bien obligés d’accuser un humain, a répondu Éric. Mais, les choses étant ce qu’elles sont... Et puis, c’est tellement tentant de faire de nous des boucs émissaires ! C’est rageant, quand on pense à la facilité avec laquelle nous pourrions les écraser.
Je n’ai pas pu tenir ma langue plus longtemps.
— Hé ! Je suis là ! Et je ne suis pas une Martienne. Je suis humaine, au cas où vous l’auriez oublié.
Je les fusillais tous les deux du regard. Ils me regardaient d’un air un peu gêné quand Portia Bellefleur est sortie de sa voiture pour se précipiter vers son frère.
— Qu’est-ce que vous lui avez fait ? s’est-elle écriée d’une voix haut perchée et chevrotante. Saletés de vampires !
Elle inspectait le cou d’Andy sous toutes les coutures, à la recherche de marques de dents.
— Ils lui ont sauvé la vie, Portia !
Elle s’est tournée vers moi, blême.
Éric l’a longuement dévisagée, comme s’il la jaugeait, puis il est parti fouiller les autres voitures garées devant la maison. Il avait récupéré les clés de tous les véhicules – je préfère ne pas imaginer comment.
Bill s’est approché d’Andy.
— Réveillez-vous, lui a-t-il dit, si doucement que j’ai eu du mal à l’entendre, alors que je n’étais qu’à quelques pas de lui.
Andy a cligné des paupières. Il s’est d’abord tourné vers moi, étonné de ne plus me tenir prisonnière sous son bras (c’est du moins ce que j’ai imaginé en voyant son air ahuri). Il a ensuite aperçu Bill, si près de lui qu’il en a frémi, comme s’il craignait des représailles. Il a enfin remarqué la présence de Portia à ses côtés, puis a tourné les yeux vers le cabanon.
— Il y a le feu, a-t-il calmement constaté.
— Oui, a confirmé Bill d’une voix tout aussi calme. Et ils sont tous morts. Tous sauf deux d’entre eux, qui sont retournés en ville. Et ils n’étaient au courant de rien.
— Alors, ils ont vraiment tué Lafayette ?
— Oui, ai-je dit. Mike Spencer et les Hardaway. Et Janet devait le savoir, même si elle n’a pas directement participé.
— Mais je n’ai aucune preuve.
— Oh, je crois que si, a lancé Éric.
Il se tenait penché au-dessus du coffre de la Ford Lincoln de Mike Spencer. On l’a tous rejoint. Seule la vue perçante des vampires permettait à Bill et à Éric de repérer les taches de sang. Mais les vêtements souillés constituaient des pièces à conviction suffisantes. Il y avait aussi un portefeuille, qu’Éric a ouvert.
— À qui appartient-il ? lui a demandé Andy.
— Lafayette Reynold.
— Donc, si on laisse les voitures là, la police n’aura qu’à les fouiller pour trouver les coupables. L’affaire sera classée et je serai mis hors de cause.
— Oh ! Merci, mon Dieu ! s’est exclamée Portia avec un sanglot dans la voix. Oh ! Andy, quittons cet endroit. Rentrons à la maison, je t’en prie.
— Portia, est intervenu Bill, regarde-moi.
Elle a commencé à lever les yeux vers lui, puis s’est brusquement détournée.
— Je suis désolée de t’avoir manipulé de cette façon, a-t-elle dit précipitamment.
À l’évidence, elle avait honte de devoir demander pardon à un vampire.
— Je cherchais juste à me faire inviter ici dans l’espoir d’innocenter mon frère, a-t-elle ajouté.
Il y avait presque du défi dans la manière réticente dont elle se justifiait.
— Sookie s’en est chargée pour toi, a aimablement rétorqué Bill.
Portia m’a décoché un regard indécis.
— J’espère que cela n’a pas été trop pénible, Sookie, a-t-elle déclaré.
Plutôt surprenant de sa part. Je ne l’ai pas ménagée pour autant.
— C’était carrément horrible, si vous voulez savoir. Mais j’ai fait ce que j’avais à faire.
On aurait dit qu’elle se ratatinait sur place.
— Merci pour l’aide que vous avez apportée à Andy, a-t-elle daigné ajouter.
Bel effort ! D’autant que, telle que je la connaissais, cela devait lui écorcher la langue.
— Je n’ai pas aidé Andy, ai-je riposté. J’ai aidé Lafayette.
Elle a respiré un grand coup avant de me répondre, se drapant dans sa dignité :
— C’est compréhensible, c’était votre collègue de travail.
— Lafayette était mon ami.
Elle s’est raidie.
— Oui, oui, bien sûr, votre ami.
Le feu s’était engouffré dans le cabanon. La police et les pompiers n’allaient pas tarder à débarquer. Il était plus que temps de mettre les voiles.
Je me suis tournée vers Andy – auquel, ai-je songé tout à coup, ni Bill ni Éric n’avaient proposé un lavage de cerveau salvateur.
— Tu ferais mieux de décamper tout de suite, Andy, lui ai-je conseillé. Rentre chez toi avec Portia et demande à ta grand-mère de jurer que vous n’avez pas bougé de chez vous de la soirée.
Les Bellefleur n’ont pas pipé mot. Mais ils sont tous les deux montés dans l’Audi de Portia et ont filé sans demander leur reste. Éric a grimpé dans sa Corvette pour retourner à Shreveport, et j’ai traversé les bois avec Bill pour rejoindre sa voiture, cachée derrière les arbres, de l’autre côté de la route. Bill me portait, comme il aimait à le faire. Je dois avouer que ça ne me déplaisait pas, quand l’occasion se présentait. Et, justement, celle-là me paraissait plutôt bonne.
L’aube était proche. Une des plus longues nuits de ma vie était sur le point de s’achever. Je me suis laissée aller contre le dossier du siège avant, épuisée.
— Où est allée Callisto, d’après toi ? ai-je demandé d’une voix pâteuse.
— Je n’en ai pas la moindre idée. Elle se déplace constamment. Rares sont les ménades qui ont survécu à la disparition de leur dieu. Ces rescapées trouvent des bois ou des forêts qu’elles hantent pendant un temps. Elles changent d’endroit avant que leur présence ne soit découverte. Elles sont douées pour ça. Souvent, elles s’installent à proximité d’un champ de bataille. Elles aiment la guerre et sa folie destructrice. J’imagine qu’elles éliraient toutes domicile au Moyen-Orient, si ce n’était pas une contrée désertique.
— Et elle était venue ici pour...
— Elle ne faisait que passer. Elle n’a pas dû rester plus de deux mois. J’ignore quelle sera sa prochaine destination.
— Je ne comprends pas comment Sam a pu... euh... copiner avec elle.
— Ah ? Tu appelles ça comme ça, toi ? Alors, c’est ce qu’on fait, nous aussi ? On copine ?
Je lui ai donné un petit coup de poing dans le bras.
— Peut-être qu’il était juste en quête de sensations fortes, a repris Bill. Après tout, ça ne doit pas être facile pour Sam de trouver quelqu’un qui soit capable d’accepter sa véritable nature.
Il a marqué une pause (ce qui s’appelle un silence éloquent).
— Eh bien, ça peut être un peu compliqué, oui, ai-je admis.
Puis j’ai eu brusquement la vision de Bill revenant chez Stan, ivre de sang. J’ai dégluti bruyamment et j’ai ajouté :
— Mais il en faut plus pour séparer ceux qui s’aiment.
J’ai repensé à ce que j’avais ressenti quand j’avais appris qu’il fréquentait Portia et à la façon dont j’avais réagi lorsque je l’avais vu avec elle au match de foot. J’ai posé ma main sur sa cuisse et j’ai refermé mes doigts doucement.
Il n’a pas quitté la route des yeux, mais il a souri. Ses canines sont apparues à la commissure de ses lèvres.
— As-tu résolu le problème avec les changelings de Dallas ? lui ai-je demandé au bout d’un moment.
— J’ai réglé ça en une heure. Ou, plutôt, Stan a réglé ça : il leur a proposé son ranch pour les nuits de pleine lune, durant les quatre mois à venir.
— Oh ! C’est drôlement sympa de sa part.
— Eh bien, en fait, ça ne lui coûte rien. Et puis, comme il n’a pas le temps de chasser et que la population de gibier sur ses terres a besoin d’être régulée...
— Tu veux dire que...
— Ils chassent, m’a confirmé mon cher et pas si tendre.
Quand on est arrivés à la maison, le soleil n’allait plus tarder à pointer le bout de son nez. Eric atteindrait Shreveport de justesse. Pendant que Bill prenait une douche, je me suis préparé une tartine de beurre de cacahuète et de confiture (je n’avais rien mangé depuis plus d’heures que je ne pouvais en compter), puis je suis allée me brosser les dents.
L’avantage, maintenant, c’est que ce n’était plus la course contre la montre : Bill avait passé plusieurs nuits, le mois précédent, à s’aménager un pied-à-terre (un sous-terre, plutôt) chez moi. Il avait découpé le fond du placard de mon ancienne chambre, celle qui avait été la mienne pendant des années, avant que ma grand-mère meure et que je m’installe dans la sienne. Il y avait installé une trappe, de telle manière qu’il pouvait entrer dans le placard, se glisser sous terre et refermer la trappe derrière lui. Ni vu ni connu. Si j’étais encore debout quand il s’enterrait, je mettais une vieille valise et une ou deux paires de chaussures dans le placard pour que ça ait l’air plus naturel. Bill s’était confectionné une grande boîte pour dormir, dans le boyau qu’il avait creusé, parce que c’était plutôt sale, là-dessous. Il n’y allait pas souvent, mais ça se révélait pratique, de temps à autre.
— Sookie ! a-t-il lancé. Viens, que je te lave.
— Si tu me laves, je vais avoir du mal à m’endormir.
— Pourquoi ?
— Parce que je serai frustrée.
— Frustrée ?
— Parce que je serai propre, mais... en manque.
— Il ne me reste pas beaucoup de temps, a-t-il reconnu en sortant la tête de la douche. Mais on se rattrapera la nuit prochaine.
— Si Éric ne nous envoie pas je ne sais où, pour changer, ai-je marmonné, une fois sûre qu’il avait la tête sous le jet d’eau.
Il allait me vider mon ballon d’eau chaude, comme d’habitude. Je me suis extirpée de ce maudit short en me jurant qu’il irait à la poubelle dès le lendemain. Puis j’ai enlevé mon débardeur et je me suis allongée sur le lit en attendant Bill. Heureusement, mon nouveau soutien-gorge était sorti intact de l’aventure. Je me suis tournée sur le côté : la lumière de la salle de bains, qui filtrait par la porte entrebâillée, me faisait mal aux yeux.
— Sookie ?
— T’es sorti de la douche ? ai-je bredouillé, encore à moitié endormie.
— Oui, ça fait douze heures.
— Quoi ?
J’ai brusquement ouvert les yeux et j’ai regardé par la fenêtre. La nuit n’était pas encore tout à fait tombée, mais il faisait déjà sombre.
— Et tu dormais à poings fermés.
J’avais une couverture sur moi, mais j’étais toujours en slip et en soutien-gorge. Je me sentais aussi fraîche que du pain rassis. J’ai levé la tête. Mmm... Bill était en tenue d’Adam.
— Ne bouge pas ! lui ai-je lancé, avant de me précipiter aux toilettes.
Quand je suis revenue, Bill m’attendait, allongé sur le lit, en appui sur un coude.
— As-tu remarqué la tenue que tu m’as offerte ? ai-je minaudé, en tournant sur moi-même pour qu’il puisse mesurer l’étendue de sa générosité.
— C’est ravissant, mais tu ne crois pas que tu es un peu trop habillée pour l’occasion ?
— Quelle occasion ?
— La plus belle nuit d’amour de ta vie.
J’ai senti un brusque afflux de désir me traverser le corps. Mais je n’en ai rien laissé paraître, évidemment. J’avais bien le droit de m’amuser un peu...
— Et comment peux-tu savoir que ce sera la plus belle ?
— Oh ! C’est absolument certain, a-t-il affirmé d’une voix de plus en plus grave et froide. Tu peux en être sûre.
— Prouve-le, ai-je lancé avec un petit sourire en coin.
Ses yeux étaient dans l’ombre, mais j’ai vu sa bouche frémir : le défi semblait l’émoustiller.
— Avec un immense plaisir... partagé, j’espère, a-t-il répondu.
Quelque temps plus tard, son bras droit en travers de mon ventre et sa jambe en travers des miennes, j’essayais de reprendre mes esprits... et des forces. J’avais si mal aux lèvres que je n’arrivais même pas à déposer un baiser sur son épaule. Il léchait doucement les petites marques qu’il m’avait faites dans le cou.
— Tu sais quoi ? ai-je murmuré d’un ton paresseux.
— Mmm ?
— Il faudrait qu’on jette un coup d’œil au journal.
Après un long moment de réflexion, Bill a fini par démêler nos corps enlacés et s’est dirigé vers la porte d’entrée pour récupérer le journal sur la véranda – en échange d’un assez gros pourboire, ma livreuse remonte l’allée et jette le quotidien auquel je suis abonnée en direction du perron.
— Regarde.
J’ai ouvert les yeux. Bill me tendait une assiette recouverte de papier aluminium. Il avait le journal plié sous le bras.
J’ai roulé hors du lit, et nous sommes allés discuter dans la cuisine. J’ai enfilé mon peignoir rose au passage, tout en le suivant à pas feutrés. Il jouait toujours les naturistes. J’appréciais le spectacle.
— Tu as un message sur ton répondeur, m’a-t-il annoncé, pendant que je préparais du café.
Cette priorité accomplie, j’ai pris l’assiette mystérieuse et j’ai soulevé la feuille d’aluminium. J’ai alors découvert un gâteau à deux étages recouvert d’un glaçage au chocolat, avec une étoile en noix de pécan sur le dessus.
— Mais c’est le gâteau au chocolat de la vieille Bellefleur ! me suis-je exclamée, les papilles en émoi.
— Tu peux le reconnaître rien qu’en le regardant ?
— Oh, oui ! Il est fameux dans tous les sens du terme ! Légendaire, même. Il n’y a rien de meilleur au monde que le gâteau au chocolat de Mme Bellefleur mère. Si elle concourait à la foire régionale, le prix serait gagné d’avance. Elle en apporte un à chaque veillée funèbre. Jason dit toujours que « ça vaut le coup que quelqu’un claque rien que pour s’enfiler un bout du gâteau de la mère Bellefleur », je cite.
— Mmm ! Cette odeur ! Quelle merveille ! s’est écrié Bill, à mon grand étonnement.
Il s’est penché pour humer l’assiette et a ajouté :
— Si tu portais ça en parfum, je te mangerais.
— C’est déjà fait.
— Eh bien, je recommencerais.
— Je ne crois pas que je pourrais supporter ça deux fois de suite.
Je me suis servi une tasse de café et j’ai considéré le gâteau d’un œil incrédule.
— Je ne savais même pas qu’elle connaissait mon adresse !
Je n’arrivais pas à m’en remettre. C’est alors que Bill a appuyé sur la touche de lecture du répondeur.
Mademoiselle Stackhouse, a dit la voix d’une très vieille aristocrate du Sud. Je suis venue frapper à votre porte, mais vous deviez être occupée. Je vous ai laissé un gâteau au chocolat parce que je ne savais comment vous manifester autrement ma gratitude. Portia m’a dit ce que vous aviez fait pour mon petit-fils Andrew. Certaines personnes ont eu la gentillesse de trouver cette modeste pâtisserie à leur goût et de m’en faire compliment. J’espère que vous l’aimerez. Si je peux vous rendre quelque service que ce soit, n’hésitez pas à m’appeler.
— Elle n’a pas dit son nom, s’est étonné Bill.
— Caroline Holliday Bellefleur n’a pas besoin de dire son nom.
— Qui ça ?
J’ai levé les yeux vers lui. Il était debout à côté de la fenêtre. Je m’étais assise à la table de la cuisine pour boire mon café dans une des tasses à grosses fleurs de ma grand-mère.
— Caroline Holliday Bellefleur.
Bill n’aurait pas pu être plus pâle qu’il ne l’était déjà naturellement, mais il était indubitablement en état de choc. Il s’est brusquement laissé tomber sur la chaise qui me faisait face.
— Sookie, rends-moi service, tu veux ?
— Bien sûr, mon amour.
— Va chez moi et rapporte-moi la Bible rangée dans le cabinet vitré de l’entrée.
Il semblait tellement secoué que je n’ai pas hésité une seconde. J’ai juste pris le temps d’attraper mes clés avant de courir à ma voiture en peignoir, en espérant que je ne rencontrerais personne de ma connaissance en chemin. Mais à 4 heures du matin, je ne risquais pas grand-chose.
J’ai trouvé la Bible en question exactement à l’endroit indiqué. Je l’ai sortie avec précaution. Elle ne datait manifestement pas d’hier. J’étais si nerveuse en la rapportant à la maison que j’ai failli trébucher sur les marches de la véranda. Bill était toujours assis à la même place. Quand j’ai posé la vieille Bible devant lui, il l’a regardée longtemps sans la toucher. Comme il ne me demandait pas de l’ouvrir, j’ai attendu sans broncher. Enfin, il a tendu la main. Ses longs doigts exsangues ont caressé la couverture de cuir craquelée. C’était un gros volume, massif, avec des lettres dorées tarabiscotées sur le dessus.
Il l’a ouvert doucement, puis a tourné un feuillet pour consulter la page de garde. Elle était couverte d’inscriptions à l’encre passée. Plusieurs écritures différentes se succédaient.
— C’est moi qui ai écrit ça, a-t-il murmuré en désignant de l’index quelques lignes. Ça, là.
J’avais la gorge serrée lorsque j’ai fait le tour de la table pour regarder par-dessus son épaule. J’ai posé la main sur son bras, non seulement pour rester plus étroitement en contact avec lui, mais aussi pour le rattacher physiquement au présent, au réel. Il semblait si loin...
J’avais du mal à déchiffrer les lettres penchées.
William Thomas Compton, avait écrit sa mère (ou peut-être son père). Né le 9 avril 1840. Et, dans une écriture différente : Mort le 25 novembre 1870.
— Tu as un anniversaire, alors.
C’était une réflexion idiote, mais je n’avais jamais pensé que Bill pouvait avoir un anniversaire, comme tout le monde.
— J’étais le deuxième fils de la famille, m’a-t-il confié. Le seul que mes parents ont vu grandir.
Je me suis alors rappelé que son frère aîné, Robert, était mort vers douze ou treize ans et que deux autres enfants étaient morts en bas âge. Toutes ces naissances et ces décès étaient consignés là, sur cette feuille de papier jauni qu’effleuraient les doigts de Bill.
— Ma sœur Sarah n’a pas laissé de descendance, a-t-il poursuivi.
Je m’en souvenais.
— Son fiancé est mort à la guerre. La plupart des jeunes gens de l’époque sont morts à la guerre. J’ai survécu. Pas très longtemps. Voici la date de ma mort. Pour les miens, du moins. C’est l’écriture de Sarah.
Je serrais les lèvres, de crainte de briser le silence. Il y avait dans l’intonation de Bill, dans ses paroles, dans la façon dont il touchait cette Bible, quelque chose de déchirant, à la limite du supportable. Je sentais les larmes me monter aux yeux.
— Ça, c’est le nom de ma femme, a-t-il repris d’une voix de plus en plus sourde.
Je me suis penchée pour lire. Caroline Isabelle Holliday. Pendant une fraction de seconde, j’ai cru que la pièce basculait. Puis je me suis rendu compte que c’était tout bonnement impossible.
— Nous avons eu des enfants. Trois enfants.
Leurs noms étaient inscrits là aussi : Thomas Charles Compton, né en 1859. Elle était tombée enceinte juste après leur mariage, alors.
Je ne porterais jamais l’enfant de Bill.
Sarah Isabelle Compton, née en 1861. On lui avait donné les prénoms de sa tante paternelle et de sa mère. Elle était née au moment où Bill partait pour la guerre. Lee Davis Compton, né en 1866. Un cadeau de retrouvailles. Mort en 1867, avait ajouté une autre main.
— Les nouveau-nés tombaient comme des mouches, en ce temps-là, a chuchoté Bill. On était si pauvres après la guerre. Et puis, il n’y avait pas de médicaments...
Je m’apprêtais déjà à évacuer ma misérable carcasse larmoyante de la cuisine quand j’ai soudain réalisé que, si Bill pouvait endurer ça, je devais être capable d’en faire autant.
— Et tes deux autres enfants ? ai-je demandé d’un ton hésitant.
Ses traits se sont un peu détendus.
— Ils ont survécu. Tom n’avait que onze ans quand je suis mort, et Sarah neuf. Elle était blonde, comme sa mère...
Il a ébauché un sourire, un sourire que je n’avais jamais vu sur son visage avant. Un sourire plein d’humanité. C’était comme si je découvrais un homme nouveau dans ma cuisine – une personne différente de celle avec laquelle j’avais fait l’amour si intensément il n’y avait même pas une heure, en tout cas. J’ai pris un Kleenex dans la boîte posée sur le micro-ondes pour m’essuyer les joues. Bill pleurait aussi, et je lui en ai tendu un. Il l’a regardé d’un air surpris, comme s’il s’attendait à autre chose (un mouchoir avec ses initiales brodées dessus, peut-être). Il s’est essuyé les yeux. Le Kleenex est devenu rose.
— Je n’ai jamais cherché à savoir ce qu’ils étaient devenus, m’a-t-il avoué d’un air songeur. J’ai coupé les ponts définitivement. Je ne suis jamais retourné là-bas tant qu’il existait une chance de les retrouver en vie, bien sûr. C’aurait été trop douloureux.
« Jessie Compton a été la dernière de ma famille en ligne directe. C’est d’elle que je tiens la maison où je vis aujourd’hui. Du côté de ma mère non plus, la descendance n’a pas été très prolifique... a-t-il poursuivi en continuant à parcourir la liste des naissances et des décès. Mais Jessie descendait en droite ligne de mon fils Tom et, apparemment, ma fille, Sarah, s’est mariée en 1881. Elle a eu un enfant en... Sarah ! Sarah a eu un bébé ! Quatre bébés ! Mais... Ah ! L’un d’entre eux est mort à la naissance...
Je ne pouvais même plus le regarder. J’avais tourné les yeux vers la fenêtre. Il s’était mis à pleuvoir. Ma grand-mère adorait son toit en tôle ondulée. Alors, quand il avait fallu le refaire, on avait repris de la tôle. D’ordinaire, une bonne averse avait le don de me détendre : le crépitement de la pluie avait un effet souverain sur moi. Mais pas cette nuit-là.
— Regarde, Sookie ! s’est soudain écrié Bill, le doigt pointé sur la Bible. Regarde ! La fille de Sarah, Caroline, a épousé un de ses cousins, Matthew Phillips Holliday. Et son deuxième enfant était une fille : Caroline Holliday !
Il rayonnait littéralement.
— Donc, la vieille Mme Bellefleur est ton arrière-petite-fille ?
— Oui.
Il semblait incrédule.
— Alors, Andy est ton... euh... ton arrière-arrière-arrière-petit-fils, ai-je enchaîné. Et Portia...
— Oui.
Il avait déjà l’air nettement moins emballé (je devrais vraiment réfléchir avant de parler).
Je ne savais pas trop quoi dire. Au bout d’une ou deux minutes de silence, je me suis sentie franchement mal à l’aise. Alors, j’ai essayé de me faufiler derrière Bill, histoire de quitter discrètement la cuisine.
— De quoi ont-ils besoin ? m’a-t-il subitement demandé, en me retenant par la main.
— D’argent, ai-je répondu sans hésiter. Tu ne pourras pas régler leurs problèmes personnels, mais, question fric, ils n’ont pas un rond. Mamie Bellefleur ne veut pas lâcher sa baraque et elle leur bouffe jusqu’au dernier cent.
— Est-ce qu’elle est fière ?
— Ça s’entend rien qu’en écoutant son message, non ? Si elle ne s’était pas appelée Holliday, Caroline Le Paon lui serait allé comme un gant.
J’ai coulé un regard vers mon vampire préféré et j’ai ajouté, l’air de ne pas y toucher :
— Ça doit être de famille...
Bizarrement, maintenant que Bill savait qu’il pouvait faire quelque chose pour ses descendants, il semblait aller beaucoup mieux. Je me doutais bien que son passé lui trotterait dans la tête quelque temps, et comment aurais-je pu lui en vouloir de se replonger dans son ancienne vie ? Je n’allais quand même pas jalouser des fantômes vieux de plus d’un siècle. Mais, de là à adopter Andy et Portia, il ne fallait quand même pas pousser !
— Tu n’avais pas l’air d’aimer beaucoup les Bellefleur, avant, ai-je lancé, insidieuse. Pourquoi ?
J’étais moi-même surprise d’oser enfin aborder le sujet.
— Tu te souviens du jour où j’ai fait cette conférence pour l’association de ta grand-mère, le Cercle des héritiers des glorieux défunts ?
— Oui, bien sûr.
— J’ai raconté cette histoire du soldat blessé, celui qui avait appelé à l’aide pendant des heures... Tu te rappelles ? Celui que mon ami Tolliver Humphries avait essayé de sauver.
J’ai hoché la tête.
— Tolliver y a laissé sa peau, a-t-il poursuivi d’une voix d’outre-tombe. Et ce soldat, qui s’était remis à crier et qu’on a finalement réussi à tirer de là pendant la nuit, s’appelait Jebediah Bellefleur. Il avait dix-sept ans.
— Oh ! La vache ! Et c’était tout ce que tu savais des Bellefleur jusqu’à maintenant ?
Il a acquiescé d’un geste.
J’ai essayé de trouver un truc intelligent à dire. Un truc sur les voies impénétrables du Seigneur, le destin ou quelque chose comme ça, mais rien ne m’est venu à l’esprit.
Comme je tentais de m’éclipser, Bill m’a, une fois de plus, attrapée par le bras.
— Merci, Sookie, m’a-t-il dit en m’attirant contre lui.
C’était bien la dernière chose à laquelle je m’attendais.
— Pourquoi ?
— Tu m’as fait faire une bonne action sans en attendre la moindre récompense.
— Bill, tu sais pertinemment que je ne peux rien te faire faire.
— Tu m’as fait agir et penser comme un humain, comme si j’étais encore vivant.
— Le bien que tu fais est en toi, pas en moi.
— Je suis un vampire, Sookie. Et j’ai été beaucoup plus longtemps vampire qu’humain. Je t’ai souvent blessée, choquée. Pour ne rien te cacher, parfois, je ne comprends pas pourquoi tu agis comme tu le fais. Il y a tant d’années que je n’ai plus rien d’humain... Et ce n’est pas toujours agréable de se rappeler ce que c’était qu’être un homme. Parfois, je ne veux pas m’en souvenir.
Holà ! On commençait à nager en eaux trop profondes pour moi.
— Je ne sais pas si j’ai tort ou raison, si ce que je fais est bien ou mal, ai-je répondu. J’agis comme je le sens. Tout ce que je sais, c’est que je serais trop malheureuse sans toi.
— Si jamais il m’arrive quelque chose, va voir Éric.
— Tu me l’as déjà dit. Si jamais il t’arrivait quelque chose, je n’aurais pas à aller voir qui que ce soit. Je n’ai besoin de personne. J’ai l’habitude de prendre mes décisions toute seule et de faire ce que je veux quand je le veux. A toi de te débrouiller pour qu’il ne t’arrive rien.
— La Confrérie va multiplier ses actions contre nous, dans les années à venir. Des mesures devront être prises. Des mesures qui pourraient te heurter, en tant qu’être humain. Sans compter les risques du métier, en ce qui te concerne...
Et il ne parlait pas de mon job de serveuse au bar.
— Pour le moment, on n’en est pas là.
C’était un vrai bonheur, pour moi, d’être assise sur ses genoux. La vie n’avait pas toujours été tendre avec moi avant que je rencontre Bill. Mais, maintenant, chaque jour me réservait un ou deux petits bonheurs comme ça.
Dans la pénombre de la cuisine, qu’embaumaient le café frais et le gâteau au chocolat de Mamie Bellefleur, avec la pluie qui tambourinait sur le toit, je vivais un merveilleux moment avec mon vampire préféré, ce qu’on aurait pu appeler un moment de chaleur humaine...
« Mais peut-être que je ne devrais pas dire ça », ai-je songé en frottant ma joue contre la sienne. Ce soir, Bill m’avait semblé presque humain. Mais un peu plus tôt, pendant qu’on faisait l’amour, j’avais remarqué que, dans l’obscurité, la peau de Bill brillait d’un étrange éclat sur les draps bleus, un merveilleux éclat irréel.
Et la mienne aussi...